Lavage de cerveau




14 juillet 2006

Une place que personne ne conteste

La télévision est devenue le média principal des enfants : "30% d’entre elles/eux restent collés jusqu’à 3h28 par jour devant le petit écran ! A deux ans, la plupart des bambin-e-s savent allumer le poste et à trois ans ils/elles regardent la télévision tous les jours, selon une étude réalisée par le centre international de l’enfant" (1). La luminosité de l’écran attire le bébé dès les premiers mois, il/elle s’approprie donc très tôt l’appareil télé qui devient souvent sa distraction préférée.

Trop souvent, allumer le poste devient un réflexe, une habitude dont il sera difficile de se défaire à l’avenir. L’écran retient l’enfant et l’accapare. Ce n’est donc pas tant la qualité des émissions qui sont en cause mais la place occupée par la télévision. D’ailleurs, nous rejoignons Bruno Bettelheim lorsqu’il écrit : "La télévision est un média fait surtout pour distraire ; elle ne se prête pas facilement à l’exercice d’un jugement équilibré, à l’examen de tous les "pour" et "contre" relatifs à une question. On ne saurait attendre d’un média ce qui est contraire à sa nature. Les informations provenant des émissions de télévision tendront toujours à être unilatérales, biaisées et simplifiées. C’est pourquoi un-e jeune enfant ne peut pas apprendre grand chose en regardant même les meilleures émissions, même celles faites pour son âge. Son expérience de la vie est trop limitée."

Par son hégémonie dans les loisirs de l’enfant, le tube cathodique l’empêche de se consacrer à d’autres activités plus enrichissantes et indispensables à sa formation et à son développement personnel. Les adultes qui forment l’entourage de l’enfant sont souvent responsables - consciemment ou pas - de cette situation. Aujourd’hui posséder un téléviseur et le regarder est devenue la norme. Liliane Lurçat, chercheuse au CNRS, explique que changer ces comportements risque d’être difficile car "la génération des parents actuels a été élevée avec la télévision. Ils n’ont rien connu d’autre, contrairement à d’autres parents qui pouvaient imaginer une vie sans la télé" (2). Et pourtant...

Quelques conséquences

Comment peut-on prétendre que rester si longtemps devant un écran n’a aucun effet ? L’attirance que ressent le téléspectateur ou la téléspectatrice s’explique par son effet hypnotique. "Enfants et adultes subissent une véritable fascination par l’image et par la parole. Lorsque le téléspectateur est devant le poste, il ne peut plus s’en détacher. Ce comportement est particulièrement impressionnant chez l’enfant, puisque la télévision est la seule chose qui immobilise le/la petit-e enfant, personne très active dans d’autres circonstances" a constaté Liliane Lurçat (3).

Son abus n’est pas sans conséquences et peut entraîner maux de tête, troubles du sommeil, crises d’angoisse, influencer le comportement alimentaire, augmenter le stress, l’anxiété, diminuer la concentration... Face à ce flux incessant d’images, l’enfant n’a pas le temps d’assimiler ou de contrôler ce qu’il/elle reçoit. Ce véritable bombardement qui agit sur sa sensibilité et ses émotions peut modifier son équilibre psychologique.

La télévision propage une sous-culture qui imprègne les jeux et les comportements des enfants. L’imaginaire enfantin se trouve envahi de références télévisuelles : publicités, dessins animés, séries... Elles le/la détachent de la réalité à un âge où l’expérimentation et la découverte par soi-même sont essentiels. D’après Bruno Bettelheim, ils/elles "deviennent incapables de s’adapter à la réalité par apprentissage parce que les situations réelles sont plus compliquées que celles que leur présente la télévision [...] L’enfant conditionné-e par la télévision est habitué-e à recevoir des explications, il/elle n’a pas appris à les chercher lui ou elle-même. Le danger de la télévision réside dans cette incitation à la passivité, cette fuite devant l’initiative personnelle qu’exige la réalIté, beaucoup plus que dans le contenu inepte ou macabre des programmes." (4) Elle suscite un comportement passif quel que soit le programme, et comme le soulignent R. Blind et M.Pool, "nous sommes alors beaucoup plus perméables à la suggestion et devenons incapables de certaines formes d’activités comme la critique ou tout simplement éteindre le poste. Ce phénomène atteint particulièrement les jeunes enfants que l’immaturité intellectuelle et affective rend d’autant plus vulnérables." (5)

La télévision diffuse des représentations conformistes et uniformisées. Elle "cadre" l’imagination et ne laisse aucun espace pour 1’originalité et la personnalité des jeunes téléspectateurs et téléspectatrices. En investissant littéralement tous ces espaces de solitude et d’ennui, elle ne le laisse pas aller à la rêverie et empêche son imaginaire de se développer. "L’imaginaire enfantin subit une incursion de sons et d’images, il y a comme un effet de suralimentation de l’imaginaire [...] Transformé-e en spectateur ou spectatrice, le rêveur ou la rêveuse ne crée pas ses images, il ou elle se laisse envahir par celles qu’on lui impose" peut-on lire dans les Actes du séminaire Enfants et télévision (6). Alors qu’il est évident que le développement de son imaginaire est nécessaire à son épanouissement, et comme le note très justement Bettelheim "la télévision saisit l’imagination mais ne la libère pas".

Publicité et conditionnement

La télévision est devenue un agent d’intégration efficace à la société de consommation dans laquelle la publicité a une place centrale. Elle influence les choix de l’enfant, ses préférences, mais aussi et surtout elle lui fait intégrer ses valeurs et influence sa perception du monde. Non seulement elle lui fait chanter ses slogans, réciter les dialogues des spots publicitaires, mais surtout elle le/la fait rentrer dans la société de consommation.

Avant l’âge de 12 ans, un-e enfant aura vu environ 100 000 publicités. Est-ce le quota nécessaire pour le/la conditionner aux normes de la pensée dominante ? Liliane Lurçat relève que "les publicitaires ont transformé l’enfant en consommateur/rice en créant chez elle/lui des désirs mimétiques"(7).

D’ailleurs, les publicitaires ont bien compris qui il fallait cibler, non seulement pour conditionner les individu-e-s dès le plus jeune âge mais aussi, comme l’écrit Dominique Pasquier parce que "les jeunes représentent un énorme marché sur lequel l’industrie pèse de tout son poids [...] Partout, les jeunes exercent une très grande pression sur leurs parents pour consommer, avoir "la même chose que les autres." Les parents qui ne peuvent assurer se sentent disqualifiés." (8). En somme, dès ses premières années, le jeune téléspectateur ou la jeune téléspectatrice est noyé-e dans un monde d’objets et de tentations matérielles qui lui feront d’autant mieux accepter la société actuelle. Certes, la télévision est omniprésente et certain-e-s se demandent si empêcher un-e enfant de la regarder n’aura pas des effets perturbateurs voire néfastes. En tout cas, il est des adultes qui entourent l’enfant d’éviter qu’il/elle regarde quotidiennement le tube cathodique et de progressivement développer chez lui/elle ses capacités d’analyse et de compréhension des médias, de le/la rendre critique - dans la mesure du possible - par rapport à l’image télévisuelle. Pour notre part, nous pensons que la télé n’est absolument pas indispensable dans la vie. Nous laisserons la conclusion à Liliane Lurçat : "La télévision façonne des êtres coulés dans le même moule : mêmes désirs, mêmes souvenirs... C’est une forme moderne de totalitarisme. Bien sûr, les enfants à qui on refuse la télévision seront frustré-e-s par rapport à leurs ami-e-s. Et alors ? Un-e enfant se construit dans le conflit et la frustration. C’est le seul moyen pour elle/lui de se forger une personnalité. Et la télévision n’offre pas cette possibilité, elle l’enferme dans un monde fictif." (9)

Source : infokiosque.net

(1) Sciences et Avenir, Février 1998. / (2) "L’Univers de la télé", les Collections du Nouvel Observateur / (3) Vie et Santé, Juin 1992. / (4) Bruno Bettelheim, "C’est un jardin extraordinaire" / (5) R. Blind et M. Pool, "La télévision buissonnière". Ed. Jouvence. / (6) Actes du séminaire Enfants et télévision, Ardèche, 1990. / (7) Vie et Santé, Juin 1992. / (8) Enquête sur "Les jeunes et l’écran", Télérama, 24 lévrier 1999. / (9) Marie-Claire, Novembre 1997. /

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