Lavage de cerveau




11 septembre 2006

Mais sa force et son hégémonie dépassent le cadre de cette concurrence. C’est sa vision de l’information - voire du monde - qui s’est imposée. Les autres médias ainsi que d’autres domaines ont intégré, parfois pour pouvoir survivre, les valeurs et les normes du petit écran : fascination pour l’image, pour le spectacle, urgence, recherche de scoops, brièveté, superficialité, conformisme, idées reçues, jeu avec l’émotion, etc.

Pierre Bourdieu, dans son opuscule Sur la Télévision, décrit ces mécanismes. Il montre comment "par sa puissance de diffusion, la télévision pose à l’univers du journalisme écrit et à l’univers culturel un problème absolument terrible. [...] Par son ampleur, son poids tout à fait extraordinaire, la télévision produit des effets qui, bien qu’ils ne soient pas sans précédent, sont tout à fait inédits".

Si nous prenons le cas de la presse écrite, nous nous rendons compte de l’impact de la télévision. La grande presse a abandonné son rôle intellectuel pour se positionner sur le terrain de la télévision. Elle privilégie le spectaculaire, l’émotion, les faits divers et les questions relatives aux problèmes quotidiens. Aucun thème ne deviendra prioritaire si la télévision ne s’en empare pas. Bourdieu s’en inquiète : "Mais le plus important, c’est qu’à travers l’accroissement du poids symbolique de la télévision et parmi les télévisions concurrentes, de celles qui sacrifient avec le plus de cynisme et de succès à la recherche du sensationnalisme, du spectaculaire, de l’extraordinaire, c’est une vision de l’information, jusque-là reléguée dans les journaux dits à sensation, voués aux sports et aux faits divers, qui tend à s’imposer à l’ensemble du champ journalistique".

La classe politique a rapidement compris l’intérêt qu’elle pourrait retirer d’une bonne exploitation de la télévision. Le petit écran est devenu l’élément central de la vie politique. Il lui a dicté ses règles. Le débat politique, qu’une minorité s’était déjà accaparée, est désormais proche de zéro, fait de petites phrases, de déclarations tonitruantes, de comportements mis en scène pour séduire. Il faut persuader devant la caméra, avoir des idées simples, faciles à expliquer...

Les stratégies politiciennes s’élaborent avant tout en fonction des impératifs télévisuels. Pire encore, la télévision a la prétention d’occuper tout l’espace des débats. Elle traite de tous les sujets avec solennité. Elle voudrait investir tous les domaines de la société. Bourdieu le souligne : "Le phénomène le plus important, et qui était assez difficile à prévoir, c’est l’extension extraordinaire de l’emprise de la télévision sur l’ensemble des activités de production scientifique ou artistique.’

On retrouve son hégémonie dans la production cinématographique. Désormais chaque réalisateur ou réalisatrice de films de fiction, et encore plus de documentaires, doit tenir compte du passage à la télévision de son oeuvre. Il en va, la plupart du temps, de la survie d’un projet. Cette mainmise entraîne une normalisation effrayante de la production audiovisuelle et assoit encore un peu plus les pouvoirs de la télévision et de ses règles sur l’ensemble de la société. Tout instrument d’enregistrement agit sur ce qu’il enregistre. Seulement la télévision en devenant la référence est désormais "l’arbitre de l’accès à l’existence sociale et politique." Ce qui la rend extrêmement dangereuse.

Source : Infokiosque.net

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